[Comme seul] La ligne – Pascale Borrel
Dans le cadre de l’exposition collective « Comme seul » orchestrée par Denis Orhant à la galerie Net Plus, nous avons souhaité interroger chacun·e des artistes exposé·es. Pascale Borrel nous explique aujourd’hui quel rapport elle entretient avec sa pratique artistique et ce qui l’y intéresse particulièrement.
– Comment parvenez-vous à concilier l’enseignement artistique et votre pratique personnelle ? Les deux vont-ils de pair ou sont-ils parfaitement indépendants l’un de l’autre ?
Pour moi, c’est inconciliable. Bien sûr, il y a des artistes qui parviennent à allier enseignement et pratique personnelle, parfois avec beaucoup d’harmonie, mais ce n’est pas mon cas. Selon moi, il s’agit de deux choses qui dépendent de deux logiques parfaitement différentes. Lorsqu’on pratique, on ne réfléchit pas de la même manière que lorsqu’on enseigne. Quand je passe de l’un à l’autre, je dois abandonner le fonctionnement du premier pour m’imprégner du fonctionnement du deuxième.
Si pour moi les deux ne vont pas de pair, c’est aussi en raison de mon plus vif intérêt pour l’enseignement. Il dépend d’un cadre, il est plus rationnel, plus rassurant. Dans le monde universitaire, notamment, les choses sont délimitées, elles s’inscrivent dans des rapports explicatifs. De ce fait, l’enseignement me prend beaucoup de temps, un temps qui prime sur celui d’une pratique artistique.
– Vous utilisez plusieurs techniques pour vos dessins (le graphite, le crayon de couleur ou encore le stylo bille). Comment orientez-vous vos choix ?
Mes choix sont tributaires de la simplicité. C’est par exemple le cas du support. Je vais au plus simple, c’est-à-dire le papier. En ce qui concerne les outils ou la technique, je n’utilise que des mines, donc du crayon, du stylo, de la mine de plomb… C’est la ligne qui m’intéresse, si je suis amenée à investir une surface, ce sera par la ligne.
Cette façon de faire amène une certaine temporalité. Pour recouvrir l’ensemble d’une surface il faut additionner les lignes les unes aux autres, ce qui peut être long. Une fois que le système est mis en place, la chose se développe en continu, sans rupture et lentement. D’ailleurs, artistiquement, j’aime les œuvres qui prennent leur temps, notamment au cinéma.
Cependant, mes choix ne se résument pas à cela. J’aime qu’il y ait quelque chose de défini en avance dans mes dessins. Je mets donc des règles en place, un protocole qui me permet de m’amuser tout en gardant une attention sur ce que je fais.
– Ces œuvres semblent avoir été réalisées de manière machinale, presque automatique. Les motifs se répètent et semblent même vouloir/pouvoir se répéter à l’infini, les visages eux-mêmes n’ont pas de limite et paraissent s’étendre à l’infini. Qu’en est-il réellement ?
En réalité, tout dépend de la règle fixée. Il est vrai que cette impression peut ressortir des deux œuvres « Sans titre » présentées dans l’exposition, mais ce n’est pas le cas, par exemple, de « En avant ». Les deux dessins au stylo bille sont là l’un pour l’autre, ils se soutiennent, s’épaulent. Ils ont été réalisés en même temps et, l’un comme l’autre, présentent des chemins qui jamais ne sortent du cadre. S’ils jouent avec ce dernier en le frôlant, ils ne s’étendent jamais au-delà des limites du support.
En ce qui concerne les visages que j’ai réalisés, tous les deux nommés « Le même », il s’agit d’un ancien projet que j’ai repris et adapté l’an dernier. À l’origine il s’agissait d’un travail photographique, réalisé dans un collège. À l’époque, j’ai photographié le visage de tous les élèves, avec une envie de ne pas les faire entrer dans les repères anatomiques connus. La photo étant la photo, le medium ne m’a pas permis de faire aboutir ce projet, malgré un travail de recadrage pour chacune des images.
L’année dernière, j’ai repris ce travail, mais par le biais du dessin. Cela aurait pu passer par un traitement numérique de l’image, mais il est plus intéressant pour moi de prendre le temps de faire les choses.
L’idée de refaire la même chose me plaisait, alors j’ai repris ce visage et j’en ai fait un deuxième dessin. Malgré la mise au carreau, ils ne sont pas identiques. Cela s’explique sûrement par le fait que la photographie d’origine était petite, c’était une mauvaise photo. En agrandissant ce genre d’images, il y a toujours des inventions à faire, il faut s’adapter, d’où les quelques différences entre les deux visages.
Propos recueillis par Charlotte Marie
À propos de l’artiste
Pascale Borrel, dans ses oeuvres, fait le choix du retrait. Cela lui permet de trouver un équilibre, de résoudre l’équation entre la production artistique et l’enseignement, car l’artiste est également maître de conférence à l’Université Rennes 2 où elle enseigne au département Arts Plastiques. Elle est titulaire d’un DNSEP et d’une thèse de doctorat en Arts plastiques intitulées « Neutre ».